Le premier long-métrage de Marie-Hélène Roux frappe par son courage moral : raconter le combat du docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, pour soigner les milliers de femmes violées et mutilées dans l’est de la République démocratique du Congo.
Un film qui refuse l’indifférence et choisit de nommer les violences sexuelles utilisées comme arme de guerre depuis plus de vingt ans dans une zone riche en coltan, ce minerai stratégique présent dans nos smartphones.
Sommaire
Une ouverture qui déplace le curseur
La scène d’ouverture du film déstabilise volontairement en transposant le viol d’une mère de famille dans un pavillon occidental banal, devant son mari et ses enfants. Cette stratégie narrative audacieuse permet au spectateur de mesurer immédiatement l’horreur subie quotidiennement par les femmes congolaises, en déplaçant la violence vers un environnement familier.
La réalisatrice assume ce choix radical face aux refus répétés des financeurs qui jugeaient cette séquence frontale impossible. Cette introduction illustre également le concept de kilométrage émotionnel, une notion que le film développe pour expliquer la résilience nécessaire face aux traumatismes répétés.
Le contexte géopolitique du coltan
Le film contextualise précisément les violences systématiques en les reliant à l’exploitation du coltan, dont la RDC détient 80% des ressources mondiales.
Ces minerais de conflit alimentent depuis 1998 une guerre qui utilise le viol comme stratégie de terreur pour contrôler les territoires riches en ressources. Au plus fort du conflit, 48 femmes étaient violées toutes les heures selon les estimations, un chiffre probablement inférieur à la réalité en raison de la sous-déclaration.
Le docteur Mukwege intervient depuis 1999 à l’hôpital de Panzi, qu’il a fondé à Bukavu pour réduire le taux de mortalité maternelle, avant de devenir expert malgré lui dans le traitement des traumatismes gynécologiques liés aux conflits.
Une alliance médicale au cœur du récit
Le film construit sa narration autour de la rencontre décisive entre Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière, chirurgien belge spécialiste de la cœlioscopie. Cette technique de chirurgie minimale invasive devient la solution pour reconstruire les corps des femmes mutilées dans des conditions sanitaires difficiles.
Depuis 2012, l’équipe du professeur Cadière s’est rendue tous les quatre mois à Panzi, réalisant 28 missions en dix ans et 1800 interventions. Le scénario, coécrit par Marie-Hélène Roux et Jean-René Lemoine, s’inspire librement du livre témoignage Panzi des deux médecins sans adapter littéralement le texte, en privilégiant notamment le développement des personnages féminins.
La dimension spirituelle comme force motrice
Ce que le film aborde avec subtilité, c’est la foi chrétienne qui anime Denis Mukwege, également pasteur d’une Église pentecôtiste à Bukavu. À 13 ans, il a vécu une expérience spirituelle marquante qui a transformé sa vie et lui a donné l’assurance de ne pas être seul face à l’horreur.
Cette dimension explique sa résilience : il prie avant chaque opération et propose aux patientes qui le souhaitent un suivi spirituel pendant leur convalescence. Le film met en lumière le contraste entre la foi profonde de Mukwege et la dimension plus pragmatique du chirurgien belge, créant une complémentarité qui enrichit le récit.
Des actrices au centre du propos
Contrairement aux biopics médicaux traditionnels, Muganga accorde une place centrale aux femmes congolaises. Babetida Sadjo incarne Blanche et Déborah Lukumuena interprète Busara, deux survivantes dont les trajectoires s’entrelacent avec celle des médecins.
Le tournage de six semaines au Gabon a permis d’intégrer des talents locaux devant et derrière la caméra, dans une démarche de formation portée par la productrice Cynthia. Cette authenticité se ressent dans la justesse des personnages féminins, loin des clichés.
Une identité visuelle et sonore singulière
Renaud Chassaing, directeur de la photographie habitué aux films engagés comme L’Abbé Pierre ou Goliath, signe une image stylisée qui divise la critique.
Le compositeur Alexandre Dudermel, qui avait déjà collaboré avec Marie-Hélène Roux sur Links of Life, crée une partition à partir de matières brutes : un tiroir qui grince, un archet frotté sur un cintre.
Cette démarche d’invention plutôt que d’illustration génère un paysage sonore organique, presque tactile, pensé pour que le spectateur ressente et respire avec les personnages.
Dix ans pour exister
Le projet a mis dix ans à trouver le chemin des salles, affrontant des refus répétés. Les financeurs reprochaient à la fois le caractère dérangeant du sujet et l’impossibilité de classer cette coproduction franco-belge dans une case précise. La scène d’ouverture frontale cristallisait les réticences des producteurs et distributeurs qui assuraient que le public n’irait jamais voir cela ou sortirait de la salle.
Les trois prix reçus à Angoulême en août 2025 ont validé le choix de ne pas céder : le Valois de l’interprétation masculine pour Isaach de Bankolé, le Valois du jury étudiants et celui du public. L’engagement d’Angelina Jolie comme coproductrice, présentée par le producteur éthiopien Osahon Akpata, a donné une nouvelle ampleur au film sorti le 24 septembre 2025 dernier.
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